par Sherif Awad
Spécialement pour www.MeetingVenus.com
Je suis née à Paris dans une famille d’artistes espagnols. Ma mère née à Madrid mais française d’origine était céramiste quand elle a rencontré mon père, artiste peintre. Ce couple d’artistes plastiques s’est installé à Paris, dans un environnement économique et culturel plus attrayant que l’Espagne franquiste. Je suis la « petite dernière » de la famille qui compte d’ailleurs d’autres artistes: une sœur comédienne et une cousine danseuse dont j’étais très proche, enfant. J’ai grandi dans un univers à la fois studieux et bohème. Mon père avait un atelier d’artiste dans lequel nous allions parfois, pour le voir travailler ou faire des soirées espagnoles. Mes parents invitaient beaucoup d’amis peintres – espagnols ou argentins – et les soirées se finissaient souvent par des chants accompagnés à la guitare, de la musique espagnole, du flamenco. J’étais une enfant très curieuse et une adolescente très occupée ! Je partageais mon temps entre les études et les cours de musique, solfège et danse que j’ai suivis jusqu’à ce que je commence mes études supérieures. Je n’allais pas beaucoup au cinéma, je n’avais pas vraiment d’idole mais une grande admiration pour les artistes en général et les danseurs classiques en particulier.
C’est vers 20 ans que j’ai commencé le flamenco. Je me suis installée en Espagne et j’ai eu la chance d’être formée par les plus grands artistes de ce genre. Je garde un souvenir ému de cette époque et un profond respect pour mes professeurs que j’ai pu également admirer sur scène : Ciro, Merche Esmeralda, El Guito, Antonio Canales pour ne citer qu’eux.
J’ai eu une vocation tardive, en fait, j’avais déjà renoncé à ce qui me plaisait le plus dans la vie : danser. Quant je suis arrivée en Espagne, mes professeurs et camarades de cours m’ont beaucoup encouragée et j’ai saisi cette « deuxième chance » très rapidement. Ces années de formation ont été dures mais tellement riches d’enseignement que j’y pense encore très souvent. Dans les cours de danse, j’ai appris la discipline, l’humilité, la combativité. A l’extérieur, j’ai découvert un milieu très particulier, celui du flamenco, avec ses codes, ses règles, ses valeurs. Sur scène, j’ai appris la solidarité et la joie d’un travail collectif bien réussi. Pour vivre et payer mes cours de danse, je donnais des cours de français et faisait des traductions, et j’ai gardé depuis ce temps-là le goût de l’indépendance.
Quand on fait du flamenco, on sait, depuis le début, qu’il est très difficile de devenir célèbre. Disons, dans mon cas, impossible. C’est un art confidentiel, réservé à un public d’amateurs. Certains danseurs atteignent une notoriété mondiale mais ils sont peu nombreux et originaires en général de familles qui sont de véritables dynasties, la flamenco étant un art de transmission orale et privée. Bien sûr la notoriété fait rêver. Elle semble ouvrir des portes, donner des perspectives…mais est-ce qu’elle n’ôte pas aussi de la liberté et de la sincérité aux artistes ? En tout cas, quand je n’ai pas le moral, je me remémore l’interview de Camaron de la Isla qui répondait au journaliste quand il lui demandait ce que lui avait apporté la célébrité : « …rien, avant quand je voulais manger une pomme, je la volais, maintenant, je la paie, c’est tout ».
Aujourd’hui ça fait 20 ans que je vis de mon métier mais les défis sont toujours là et ils sont nombreux. Dans le domaine de la transmission (j’aime beaucoup enseigner) il y beaucoup de choses à faire: nous faire reconnaître un peu partout dans le monde et surtout commencer à former les jeunes et les enfants, faire naître des vocations, monter des lieux réservés, créer des cursus internationaux sans tomber dans le formatage qui – à mon avis – tuerait la technique. J’aimerais contribuer à tout cela. Dans celui du spectacle, préserver le flamenco authentique me semble urgent et indispensable. Développer la création contemporaine est également primordial, donner des moyens au flamenco car c’est un art superbe, grandiose, qui évolue et innove constamment et qui est trop injustement représenté comme un art traditionnel. Nous voudrions toucher de nouveaux publics, créer de nouveaux styles de rencontre, montrer que le flamenco est un langage riche et varié qui peut plaire à beaucoup de monde, pouvoir utiliser tous les moyens de création contemporaine. Le travail que je poursuis modestement avec la compagnie va dans ce sens : faire de la création coûte que coûte, aller dans des lieux insolites, aller à la rencontre de nouveaux publics. Après avoir créé une dizaine de spectacles, les avoir présenté un peu partout en France, avoir été plusieurs fois au festival d’Avignon, s’être implantée pendant une dizaine d’année en Région Centre, j’aimerais développer un projet plus global de sensibilisation des publics, de tous les publics, avec ces quatre constantes : transmission, création, métissage des techniques, flamenco puro.