Ana Ranz

Ana Ranz

Avant tout, merci pour cette interview. C’est toujours un plaisir de parler des arts et de mon métier en particulier.
Je suis née en Roumanie à Hunedoara. Je fus confiée à l’adoption à l’âge de 18 mois suite à la réouverture des portes des orphelinats en 89 après la chute du dictateur Nicolas Ceaușescu. Grace à mon glaucome, la maladie dont je suis atteinte, l’association des médecins du monde m’a rapatriée en France pour me faire opérer. Nourrie à la farine et à l’eau, n’ayant eu que très peu de contacts humains durant les premiers mois de ma vie, j’avais une rage d’exister et je crois qu’elle ne m’a jamais quittée.
Avec mes parents adoptifs, j’ai eu une enfance de contes de fée. J’étais l’enfant tant attendue, à qui l’on donnait toute l’attention du monde et encore plus. Tous les soirs de ma jeune existence, on allait au manège près du bois de Vincennes. 
Je me souviens également de mon premier Noël. Pour mon arrivée, j’avais été couverte de cadeaux mais je n’en n’avais que faire, je suis tombée en extase devant le sapin. Je ne voulais plus le quitter, je le trimbalais par la branche  un peu partout dans l’appartement. Forcément, ça a mis un sacré bazar…
Ma mère est celle qui m’a appris l’amour des lionnes. Mon père, l’humour et l’autodérision. Enfin mon frère, le sens de la famille et le devoir. J’ai une famille déjantée, où l’on se chamaille pour un oui ou pour un non. Mais une chose est certaine, même si on a l’amour vache, on s’aime.
A 4 ans ma mère m’emmenait à l’opéra. Aujourd’hui, je n’y vais plus. Mais j’en garde un merveilleux souvenir. Dans la musique et les odeurs, je goûtais à l’amour pour la première fois. 
A 7 ans, j’écoutais Fabrice Luchini lire « un cœur simple » de Flaubert. Je dévorais les cassettes audio. Je ne comprenais alors pas tout, mais ça bousculait quelque chose en moi. Les contes d’Henri Gougaud, la mythologie grecque ou africaine, j’en étais accro. 
J’ai un rapport quasi instinctif aux histoires. J’aime les écouter, leur donner vie dans ma tête, les porter en moi. L’Homme dissimule en son sein un trésor : son histoire. Et cette histoire se nourrit de toutes celles qu’il rencontre.
Quand je monte sur scène ou que je suis devant la caméra, je crois que j’essaie de capter un peu de cette magie. Les mots qui dansent, les personnages qu’on incarne, toutes ces réalités deviennent vraies le temps d’une fiction. 
A mes 10 ans, ma mère m’a inscrite à un cours de théâtre. Je me souviens d’une scénette ou je portais des tresses avec des élastiques multicolores, et que devant mes pitreries, le public avait beaucoup ri. Cette envie de faire naître des émotions, de s’oublier dans une joie partagée, a changé ma vie. Ce jour-là, je suis tombée amoureuse du théâtre.
J’ai voué un culte quasi mystique à Dorothée. J’aime sa manière de dire les mots, de rouler les R et de parler d’histoires d’amour tragiques. Sa voix cassée, sa façon d’interpréter les chansons parlaient à la petite fille passionnée que j’étais. Réécoutez « Tchou-Tchou le Petit Train » ou « 2394 », c’est génial. Ces sons de vieux synthés, le badaboum du train ou alors l’histoire d’une petite fille contrôlée par un ordinateur qui gère son bonheur, ça m’a toujours fait pétiller de joie.
J’aime Romy Schneider, ce charisme de dingue. Cette fragilité tout en force, cette féminité latente qui pouvait être douce comme incroyablement érotique. Quelle actrice.
Il y avait, il y a Fabrice Luchini. Il goûte les mots, il a un rapport quasi charnel avec le texte. Il l’offre au monde. Quand je l’écoute, je me sens en vie. J’ai été amoureuse de lui de mes 7 ans à mes 16 ans. Tout semblait l’atteindre. Et dans les mots, il trouvait un réconfort, un espoir. Je comprenais. Je comprends. Aujourd’hui, nous avons vieilli. Si un jour, j’apprends sa mort dans la presse, il me manquera comme un ami cher.
Enfin, je ne répondrais pas entièrement à la question si je ne parlais pas d’Almodovar et de Clint Eastwood. Ce sont des merveilleux metteurs en scène des sinuosités de l’âme humaine, si tenté qu’on ait une âme…
J’ai l’impression qu’il y a de multitudes de possibilités pour devenir artiste. On a à disposition beaucoup de formations, il y en a pour tous les goûts. Cette diversité de l’offre amène une difficulté : que doit-on choisir ? Où doit-on aller ? 
Devenir comédienne comme être actrice s’apparente plus à une vocation. Ce sont des heures de travail avec des résultats non proportionnels au temps d’implication. Vous passez des heures à vous préparer pour un casting pour finalement être refusée, la plupart du temps sans savoir pourquoi, et vous devez éviter de le prendre contre vous. En effet, si le rôle est pour vous, vous serez pris, si vous ne convenez pas, tant pis. Mais quand vous espérez, difficile de s’abandonner. De plus, c’est une exigence physique, un entretien pour avoir un corps dynamique et présent, le sport est donc quasi obligatoire. C’est également l’amour des rencontres artistiques et la volonté d’être au service de l’œuvre, du metteur en scène, du réalisateur, vous jouez avant tout pour répondre aux attentes des autres et non pour votre égo.  Ce sont aussi des remises en question permanentes, des apprentissages qui ne cessent jamais et certains sacrifices sur votre vie personnelle. En effet, être comédienne en devenir demande qu’on priorise sa carrière et cela a forcément des conséquences sur votre vie privée. A moins d’être déjà bien établie dans le milieu, d’avoir un bon réseau et de ne plus avoir la nécessité de chercher du travail, cela me semble difficile avec une vie de famille type. Vous devez également, si vous avez la volonté d’être en couple, trouver quelqu’un qui partage et comprenne votre métier. Ce n’est pas donné à tout le monde de trouver un/une partenaire qui accepte que oui, vous allez embrasser quelqu’un pour une scène d’amour ou que non, vous ne pourrez pas partir en vacances comme prévu car vous avez un super tournage… 
Alors si mon principal moteur était la célébrité, je crois qu’il ne serait malheureusement pas suffisant au regard de tous les efforts exigés. Je préfère me motiver en me demandant : qu’est-ce que j’ai à offrir au cinéma ? au théâtre ? 
La célébrité peut donc être une conséquence, elle n’est pas mon objectif. Elle peut être nécessaire pour que le message que l’on porte ait plus d’impact et en ce sens, elle me serait utile dans ma volonté de changer les mentalités. Je me bats pour un monde plus inclusif, plus représentatif de notre société. Je trouve injuste de ne pas engager d’acteurs non-voyants dans les publicités, à la télé, dans les magazines, dans la vie médiatique en général. Cette sous-représentation revient à nier une partie de l’humanité. Et pourtant, les personnes non-voyantes ou malvoyantes existent et ce ne sont pas toutes des clichés inventés par les angoisses du plus grand nombre. Parfois, le handicap n’est même pas visible. La vraie avancée, ce serait de voir une actrice non-voyante ou malvoyante sans que son handicap soit la cause de sa présence. J’attends l’appel de la série « dix pour cent » d’ailleurs, si vous souhaitez me contacter, je suis disponible… (rire)
Le fait d’être une femme dans un milieu d’hommes n’est pas simple pour trouver sa place. Mais être une femme avec un handicap plus ou moins visible, oui on est bien là dans un défi. Cela ne me fait pas peur, je suis prête. Quand on a identifié ce pour quoi l’on se bat, quand on y croit, tout arrive.
Changeons les mentalités ensemble, voilà pourquoi j’aimerais que vous croyiez en moi. Pour partager la même réalité, une réalité où les différences deviennent la norme. Laissez-moi être sans le filtre des préjugés.
Avec les plateformes de divertissement comme Amazon Prime, Audible, Spotify et bien d’autres, notre rapport à l’art et à l’artiste a changé. Nous sommes des consommateurs d’Art et non plus des contemplatifs. 
Il n’y a pas si longtemps, quand une nouvelle série sortait, nous avions un rendez-vous hebdomadaire ou journalier avec la série. Il y avait une attente, une rareté de l’œuvre. Nous dépendions du canal de diffusion et nous ne pouvions pas « bingwatching ». Aujourd’hui, Netflix lui-même programme automatiquement l’enchaînement des épisodes et favorise cette pratique. Nous sommes des boulimiques en mal de choix. Qui prend le temps, qui aurait le temps de voir tous les films qui sortent en salle le mercredi ? Nous sommes noyés dans la masse de propositions artistiques. Quand nous nous sentons proches d’un artiste, nous pouvons suivre sa vie sur Instagram. Les influenceurs sont les artistes d’aujourd’hui si l’on en croit l’opinion publique. Les gens aiment les voir dans des situations du quotidien avec des moyens phénoménaux à leur disposition. Nous mettons en scène notre intimité. Aujourd’hui, n’importe qui peut ou est encouragé à devenir artiste, à percer. Mais dans cette multitude de personnalités, qu’appelle-t-on art ou artiste ? Cela offre davantage de possibles car il y a toujours plus de demande et ça provoque un paradoxe. Si tout le monde est un artiste, qui l’est vraiment ? Nous tendons à devenir des créateurs de contenu éphémère et non d’Inépuisable, c’est toute la différence entre hier et aujourd’hui. 
Je travaille seulement avec les gens qui m’inspirent. Je ne me lance jamais dans un projet auquel je ne crois pas à 100 pourcent. Je préfère les refuser ou m’en éloigner avant. J’aime créer, inventer et construire avec mon partenaire de jeu, le réalisateur ou metteur en scène. Ce qui compte pour moi, c’est d’être au présent et en accord avec mes valeurs.
Je travaille à réaliser un podcast, je me forme. Je réfléchis à plus d’interaction avec mes abonnés sur Instagram à travers de courtes vidéos. Je vais continuer les partenariats avec les marques, continuer les shooting photos et passer des castings pour jouer, jouer, jouer. Une vie sans jeu, c’est une vie sans joie.  Alors, action !
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